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le secteur bancaire

L’avenir de l’argent : a-t-on besoin d’une MNBC canadienne?

06 déc. 2022 •

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Par l’Association des banquiers canadiens

Le Canada compte parmi les pays qui utilisent le moins l’argent liquide, les particuliers et les entreprises adoptant facilement les options bancaires et de paiement numériques. Selon un récent sondage de l’Association des banquiers canadiens (ABC), plus des trois-quarts de la population canadienne accèdent désormais entièrement aux activités bancaires par des moyens numériques. Par ailleurs, les modes de paiement numériques ont servi à effectuer 79 % de l’ensemble des transactions de paiement, soit 15,8 milliards de dollars au total en 2020[i].

Nous vivons désormais dans un monde fermement interconnecté et dépendant de la technologie. Il n’est donc pas surprenant que les plateformes de transactions financières les plus populaires soient toutes numériques, mobiles et sans contact. La pandémie n’a fait qu’accélérer le passage au numérique, ce qui a mené à une volonté accrue d’explorer d’autres solutions que les billets de banque, comme les cryptomonnaies. Les dernières années ont vu le lancement d’un nombre ahurissant de cryptomonnaies, du fameux Bitcoin, au Ethereum, en passant par le Tether et des centaines d’autres, dont les « jetons Meme », qui ont peu, sinon pas, de légitimité. Malgré leur allure révolutionnaire, les monnaies numériques alternatives sont essentiellement instables, risquées et non réglementées. Cette réalité s’est clairement manifestée en 2022, lorsqu’une baisse marquée du prix des cryptomonnaies a mené à ce que de nombreux commentateurs appellent « l’hiver cryptographique » et que plusieurs des plateformes prisées d’échange de cryptomonnaies se sont effondrées, laissant les investisseurs dans les cryptomonnaies de détail exposés à d’énormes pertes.

Vu la montée rapide des cryptomonnaies et les grandes avancées technologiques qui facilitent l’offre de services financiers, les autorités au Canada et partout dans le monde travaillent à comprendre l’impact qu’auraient ces innovations sur le secteur financier. En effet, de nombreuses personnes ont signifié leurs grandes préoccupations au sujet des effets néfastes de la croissance des cryptomonnaies sur les consommateurs et sur le système financier dans son ensemble. Des recherches poussées et de longues discussions ont eu lieu en vue de voir si l’introduction d’une version numérisée du dollar est une solution pour contrer le risque que représente l’adoption généralisée de cryptomonnaies, dont une monnaie numérique alternative du secteur privé.

 Avenir d’une MNBC canadienne

Cette rapide évolution et l’acceptation accrue par le public de l’idée de monnaies numériques ont stimulé les banques centrales partout dans le monde, dont la BdC, à travailler sur l’émission possible d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de détail. La BdC dit s’apprêter ainsi à faire face à deux scénarios potentiels : le jour où les consommateurs au Canada ne pourraient plus utiliser facilement l’argent liquide pour les transactions quotidiennes et le jour où une monnaie numérique alternative du secteur privé serait largement adoptée. Bien qu’elle ne compte pas émettre une MNBC pour le moment, la BdC laisse entendre que l’un ou l’autre des scénarios précités serait un tournant qui justifierait l’adoption d’une MNBC, d’où l’importance d’effectuer dès aujourd’hui des recherches sur les caractéristiques d’une MNBC, ses fonctions, et ses effets sur la population et sur l’économie dans son ensemble, dont le secteur financier.

Une MNBC est simplement de l’argent numérique émis par une banque centrale. En cas d’émission d’une MNBC canadienne, les particuliers et les entreprises pourront l’utiliser afin de payer des produits et des services au moyen d’un appareil mobile, ou de cartes ou d’appareils spéciaux. Ce serait comme de l’argent liquide qui peut également être utilisé en ligne. Tout comme les billets de banque, cette monnaie numérique officielle maintiendrait sa valeur nominale en dollar canadien puisqu’elle aurait été émise par la BdC.

Nous sommes d’avis que les avantages possibles de l’adoption d’une MNBC afin de répondre aux préoccupations suscitées par l’adoption généralisée de monnaies numériques alternatives et par les paiements transfrontaliers inefficaces doivent être explorés davantage. Si une MNBC de détail venait à être émise au Canada, elle aurait de vastes répercussions sur l’économie, sur le système financier et sur les opérations de la Banque du Canada. D’où l’importance d’agir de manière intelligente et prudente, et de préserver ainsi la confiance et la stabilité dans le système financier canadiens.

 Besoin d’une justification de principe claire

L’ABC et ses membres remettent en question la nécessité d’émettre une MNBC de détail au Canada. Malgré les quelques avantages de l’émission d’une MNBC de détail, jusqu’à présent, les objectifs derrière cette émission n’ont pas été clairement établis et confirmés vu les risques auxquels sera exposée la stabilité du secteur financier.

Les raisons qui sous-tendent l’émission d’une MNBC dépendent fortement du contexte et varient d’un territoire à l’autre selon plusieurs facteurs, dont la confiance dans le secteur financier et la stabilité de ce dernier, ou encore l’écosystème des paiements actuel. Au Canada, les gains d’efficacité présumés offerts par une MNBC de détail peuvent être négligeables parce que les solutions de paiement de détail actuelles sont pratiques, efficaces et fiables, et ont gagné la confiance du public au fil du temps. Collectivement, les banques au pays ont investi considérablement afin d’accroître l’efficacité et la commodité des paiements en général : virements électroniques Interac, portefeuilles mobiles et numériques, plateformes bancaires en ligne pratiques, cartes sans contact, moyens plus efficaces d’envoyer des fonds, etc. Tous cela en plus des efforts soutenus investis par le Canada pour moderniser son infrastructure de paiements.

Nous sommes d’avis que les avantages potentiels de l’émission d’une MNBC de détail et les objectifs derrière cette émission doivent être clairs et surtout confirmés à la lueur des risques auxquels sera exposé l’équilibre du secteur financier : par exemple, les possibles répercussions sur le financement des banques. Plus particulièrement, le risque principal qui pourra découler de l’émission d’une MNBC de détail sera la désintermédiation des dépôts bancaires et ses effets, y compris les répercussions sur les sources de financement des banques et la capacité de ces dernières à fournir du crédit. Ce fait est surtout pertinent pour les petites institutions qui seront plus gravement affectées par un changement dans leurs sources de financement. Ensuite, selon sa conception et ses aspects techniques, une MNBC de détail suscitera également des préoccupations en ce qui a trait à la vie privée, aux crimes financiers et à la sécurité et résilience du système de MNBC global. Finalement, il est possible qu’une MNBC de détail soit anticoncurrentielle et empêche ainsi les initiatives destinées à augmenter la compétitivité et l’innovation dans le secteur financier, comme le système bancaire ouvert et la modernisation des paiements.

 Points à explorer

Le secteur bancaire canadien est prêt à échanger avec les intervenants alors qu’ils évaluent l’effet de la numérisation de la monnaie sur la stabilité, l’intégrité et la sécurité du secteur financier, tout en promouvant un environnement qui favorise la concurrence et l’innovation pour que le secteur financier canadien ait beau jeu d’exploiter les avantages d’une économie numérique axée sur les données.

Dans cette optique, l’ABC a cerné les questions sur lesquels la BdC et les autres intervenants devraient se pencher dans le cadre de leur travail sur l’émission possible d’une MNBC de détail au Canada.

  • Les motifs de l’émission d’une MNBC doivent être clairement déterminés et les risques et avantages pour le secteur financier, soigneusement évalués. Une MNBC de détail ne devrait pas miner la confiance que les Canadiens ont dans le système financier ni être considérée comme une panacée pour résoudre des problèmes auxquels d’autres solutions peuvent déjà exister ou pourraient être amenées par le secteur privé. Qui plus est, l’émission d’une MNBC de détail ne doit ni empêcher ni limiter l’innovation et la compétitivité dans le secteur financier.
  • La stabilité du secteur financier ne doit pas être ébranlée par l’émission d’une MNBC de détail. Veiller à la stabilité et à l’efficience du système financier est une fonction essentielle de toute banque centrale. Il est donc essentiel de se pencher sur les risques de désintermédiation qui pourront augmenter en raison d’une MNBC de détail, y compris l’impact sur les prêts bancaires.
  • Une MNBC de détail ne devra pas entraver les projets en cours de développement, comme la modernisation des paiements. Le Canada a entamé un processus de modernisation de ses systèmes de compensation et de règlement, parallèlement à la construction d’une plateforme de paiements de détail (the Real-Time Rail) susceptible de fournir aux consommateurs des solutions de paiement plus rapides, plus efficaces et plus sécuritaires. Malgré les retards, une fois lancé, ce projet mènera à une meilleure infrastructure des paiements au Canada. Si la BdC venait à émettre une MNBC, la technologie qui y serait associée ne devrait pas concurrencer les solutions offertes par le secteur privé et devrait être utilisable avec les systèmes de paiement futurs et leurs technologies connexes.
  • Conjointement avec une réglementation et une surveillance efficaces des monnaies numériques alternatives, les solutions des banques commerciales pourront bien répondre aux préoccupations de la Banque du Canada à l’égard du remplacement du dollar canadien. Le système de paiements du Canada récolte les bénéfices des efforts et des investissements collectifs faits par les banques en vue de rendre les paiements plus efficaces et plus pratiques dans l’ensemble. Avec le haut niveau de commodité actuel et les améliorations planifiées pour l’avenir, nous sommes d’avis que la probabilité d’une large adoption de monnaies numériques stables à court terme au Canada est faible.
  • Un système de MNBC de détail devra trouver le juste milieu entre la protection de la vie privée des consommateurs et la prévention du crime financier. Un possible système de MNBC mènera à une dichotomie entre la protection des renseignements personnels et la lutte contre le crime financier, ce qui entraînerait un manque de confiance de la part des consommateurs dans un tel système. Compte tenu des préoccupations relatives au crime financier, il est peu probable qu’une MNBC canadienne soit en mesure d’offrir le même niveau d’anonymat et de confidentialité que l’argent liquide. Un aspect essentiel des plans de prévoyance de la BdC est l’évaluation de la possibilité de réaliser un juste équilibre entre la protection des renseignements personnels des consommateurs et le niveau adéquat de transparence pour décourager le crime. Si les consommateurs ne font pas confiance à une MNBC canadienne ou qu’ils ont l’impression que la BdC ne répond pas adéquatement aux préoccupations en matière de protection des renseignements personnels, l’adoption d’une MNBC par le public pourra en pâtir.
  • Il est primordial d’assurer la résilience d’un système de MNBC au Canada pour renouveler la confiance des consommateurs dans le secteur financier. Au-delà des menaces aux avoirs d’un particulier, un écosystème de MNBC serait une cible de grande valeur pour les acteurs malveillants. La résilience opérationnelle et la mise en œuvre de mesures de cybersécurité devraient être des composantes fondamentales d’un éventuel système de MNBC. À l’instar des systèmes de paiement existants au Canada, tous les intervenants, notamment les entités participant à l’émission et à la distribution d’une éventuelle MNBC canadienne, devraient adopter les normes les plus strictes en matière de sécurité et de protection des données.
  • L’émission d’une MNBC est l’une des nombreuses solutions de rechange qui pourraient être envisagées en vue d’améliorer les paiements transfrontaliers. La résolution des problèmes liés aux paiements transfrontaliers est une question complexe que les banques s’efforcent de résoudre en coordination avec les acteurs publics et privés. Il est possible de surmonter de différentes façons les obstacles liés aux paiements transfrontaliers : mise au point des systèmes de paiement en temps réel, adoption des normes ISO 20022, mise en œuvre des solutions de SWIFT, résolution du problème de l’interopérabilité, etc.
  • L’émission potentielle d’une MNBC devrait être envisagée dans le cadre des débats politiques plus vastes concernant les incidences sur le secteur financier. Le secteur bancaire subit déjà des changements à travers des initiatives comme la modernisation des paiements et la numérisation croissante du secteur. Outre la surveillance réglementaire des nouveaux acteurs, nous encourageons la BdC à adopter une approche globale dans son évaluation de l’incidence des MNBC sur les banques, parallèlement à d’autres initiatives qui se répercutent actuellement sur le secteur bancaire (p. ex., le système bancaire ouvert, les finances autogérées et les changements apportés aux directives réglementaires concernant les risques financiers et non financiers), ou sont susceptibles de se répercuter à l’avenir.


[i] Paiements Canada, Rapport canadien sur les modes et les tendances de paiement 2022
https://paiements.ca/sites/default/files/PaymentsCanada_Canadian_Payment_Methods_and_Trends_Report_2022_Fr.pdf